Dans un chemin montant, sablonneux, mal-aisé,
Et de tous les cotez au Soleil exposé,
Six forts chevaux tiroient un Coche.
Femmes, Moine, vieillards, tout estoit descendu.
L’attelage suoit, souffloit,
estoit rendu.
Une Mouche survient, & des chevaux s’approche ;
Prétend les animer par son bourdonnement ;
Pique l’un, pique l’autre, & pense à tout moment
Qu’elle fait aller la machine,
S’assied sur le timon, sur le nez du Cocher ;
Aussi-tost que le char chemine,
Et qu’elle voit les gens marcher,
Elle s’en attribuë uniquement la gloire ;
Va, vient, fait l’empressée ; il semble que ce soit
Un Sergent de bataille allant en chaque endroit
Faire avancer ses gens, & hâter la victoire.
La Mouche en ce commun besoin
Se plaint qu’elle agit seule, & qu’elle a tout le soin ;
Qu’aucun n’aide aux chevaux à se tirer d’affaire.
Le Moine disoit son Bréviaire ;
Il prenoit bien son temps ! une femme chantoit ;
C’estoit bien de chansons qu’alors il s’agissoit !
Dame Mouche s’en va chanter à leurs oreilles,
Et fait cent sottises pareilles.
Aprés bien du travail le Coche arrive au haut.
Respirons maintenant, dit la Mouche aussi-tost :
J’ay tant fait que nos gens sont enfin dans la plaine.
Cà, Messieurs les Chevaux, payez-moy de ma peine.
Ainsi certaines gens, faisant les empressez,
S’introduisent dans les affaires.
Ils font par tout les nécessaires ;
Et, par tout importuns devroient être chassez.
Jean de La Fontaine
Fables, deuxième recueil : livres VIII, VIII
Claude Barbin et Denys Thierry, 1678